L’immobilier européen se négocie à des niveaux tendus qui reflètent l’éventail de difficultés auxquelles le secteur est confronté
Les obligations immobilières se négocient actuellement avec une décote face à l’indice large EUR IG inédite depuis la crise financière mondiale de 2008-2009. Plusieurs raisons à cela, la hausse des taux d’intérêt étant sans doute la plus importante. Pour combattre l’inflation élevée, les banques centrales ont opté pour un resserrement de leur politique monétaire, un environnement préjudiciable pour la plupart des modèles d’affaires dans l’immobilier. Les sociétés immobilières tendent à recourir aux acquisitions financées par l’endettement afin de générer de la croissance, un modèle d’affaires qui est aujourd’hui remis en question face à la hausse significative du coût de la dette. En contrepartie des taux d’intérêt élevés, les investisseurs exigent par ailleurs un rendement plus élevé des actifs immobiliers qui, combiné à la hausse des coûts du capital, affecte la rentabilité, le ratio prêt/valeur, l’effet de levier et la liquidité.
Spreads immobiliers par rapport aux obligations IG en EUR
Source: Bloomberg
L’élargissement des spreads sur les marchés investment grade implique une forte hausse des coûts de financement, bloquant de facto l’accès de nombreuses sociétés immobilières aux marchés des capitaux. Dans le même temps, leur alternative de financement, à savoir les banques, devrait se restreindre après les récents événements qui ont touché le secteur bancaire. Tout cela n’est pas de bon augure et survient à un moment où les vendeurs à découvert continuent de s’agiter autour des normes comptables, de la valeur réelle des actifs en bilan et de la gouvernance de certaines sociétés immobilières.
Face à ces difficultés, de nombreux émetteurs de l’univers ont choisi de vendre des actifs pour lever des capitaux, consolider leur bilan et augmenter les liquidités. La vente d’actifs est logique du point de vue du désendettement et peut créer de la valeur pour les actionnaires et les détenteurs d’obligations, mais elle pose problème à plus long terme. Les sociétés peuvent-elles vendre des biens à un prix raisonnable ? Quel sera l’impact de ces cessions sur les résultats futurs, surtout si les entreprises se défont de leurs meilleurs actifs pour résoudre des problèmes à court terme ? Ne vont-elles pas, par exemple, se retrouver avec des actifs de moindre qualité pour supporter le reste de leurs dettes ?
Des difficultés d’ordre technique pèsent également sur un secteur occupé par des émetteurs relativement petits pour une base d’investisseurs limitée en comparaison et sur les entreprises qui se sont tournées vers le marché des obligations d’entreprises hybrides pour lever des capitaux. Dans un contexte d’élargissement des spreads, ces émissions plus risquées ont été mises sous pression.
Les préoccupations sous-tendant ce creusement sont légitimes, mais dans quelle mesure surestiment (ou sous-estiment)-elles les problèmes fondamentaux auxquels l’immobilier européen est confronté ? Par exemple, les résultats 2022 ont traduit une partie de l’impact négatif des hausses de taux d’intérêt, mais ont été globalement moins mauvais que prévu. Certaines valorisations semblent tout du moins refléter une issue plus négative que ce que laissent paraître les résultats.
L’Europe est une région géographique et économique disparate et le secteur immobilier se compose de plusieurs sous-secteurs, avec des fondamentaux propres à chacun. En appréhendant correctement ces éléments et en reconnaissant que l’impact des facteurs négatifs variera selon les sous-secteurs (immobilier résidentiel, logistique, centres de données, bureaux, hôtels, loisirs), il est possible d’identifier des opportunités. Même si le sentiment est globalement négatif, certains segments de l’immobilier présentent des atouts appréciables tels que déséquilibre entre l’offre et la demande, réglementation, croissance des loyers indexée sur l’inflation et pouvoir de fixation des prix. À titre d’exemple, les fondamentaux de l’immobilier résidentiel dans le nord de l’Europe résistent mieux que ce que laissent transparaître les valorisations. Ailleurs, certains émetteurs actifs dans la logistique et les centres de données se caractérisent par un faible niveau d’endettement et continuent de financer la croissance et les acquisitions d’une manière favorable aux détenteurs d’obligations. De notre point de vue, ces opportunités ainsi que d’autres triées sur le volet offrent un potentiel de rendement corrigé du risque attrayant, soutenu par des fondamentaux solides (et négligés).