Fidèles à la philosophie du « juste à temps », les entreprises ont de plus en plus recours aux solutions logicielles pour améliorer leur compétitivité, leur efficacité et leur productivité et réduire leurs coûts car la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée perdure.
Pendant plusieurs décennies, le Japon s’est forgé une réputation de bastion de la technologie. Que ce soit dans l’électronique grand public, la robotique ou les infrastructures, il a mis au point du matériel informatique de pointe au niveau mondial. Aujourd’hui, la technologie japonaise joue un rôle essentiel dans la mise au point des smartphones 5G, des véhicules électriques et des centres de données.
Toutefois, s’agissant des logiciels, de nombreux exemples soulignent que le Japon s’est laissé nettement distancer par le reste du monde (Figure 1). Selon Gartner1, le Japon a sept ans de retard sur les Etats-Unis dans l’adoption de l’informatique dématérialisée (« cloud computing »). Ce cabinet prévoit qu’en 2022, 14% des dépenses informatiques aux Etats-Unis porteront sur les services cloud. A titre de comparaison, au Japon, elles atteindront péniblement 4,4%, contre 3% en 2019. En outre, l’IMD World Competitiveness Center a placé le Japon au 27e rang de l’édition 2020 de son classement mondial de la compétitivité numérique2. En 2018, le taux de pénétration des produits logiciels en tant que service (SaaS) sur le marché des logiciels de comptabilité et de RH n’était que de 14% au Japon, contre plus de 50% aux Etats-Unis3. En 2019, les dépenses consacrées aux logiciels CRM (expérience client et gestion de la relation client) étaient trois fois plus importantes au Royaume-Uni et cinq fois plus importantes aux Etats-Unis qu’au Japon en pourcentage des dépenses commerciales globales.4
Figure 1 : Le tableau de bord du Japon dans le numérique en 2020
Source : McKinsey, « How Japan can make digital ‘big moves’ to drive growth and productivity », 24 février 2021. 1 Le classement mondial de la compétitivité numérique établi par IMD mesure la capacité et le degré de préparation de 63 économies à adopter et envisager les technologies numériques comme un facteur clé de la transformation économique au niveau des entreprises, du gouvernement et de la société au sens large. 2 Experts en ingénierie, y compris dans les domaines du génie logiciel, ingénieurs données et développeurs. Ne tient pas compte des consultants, des gestionnaires de projets et des postes liés aux processus. 3 Entreprises avec une valorisation >1 milliard USD, y compris des sociétés cotées ayant été évaluées à cette hauteur avant leur introduction en bourse : Mercari, Preferred Networks, Smartnews, Liquid, Playco.
Comment un pays à la pointe du progrès technologique dans un domaine peut-il être autant distancé dans un autre ? Le poids de la bureaucratie a été un frein à l’adoption du logiciel. Par exemple, jusqu’en 2020, de nombreux formulaires administratifs utilisés par les organismes gouvernementaux devaient être signés en personne au moyen d’un petit tampon trempé dans l’encre rouge (« hanko »), une pratique qui remonte au 8e siècle.5 Mais il y a aussi des freins culturels : le shūshin koyō, l’emploi à vie, a longtemps été une caractéristique centrale du marché du travail au Japon. De nombreuses grandes entreprises employaient traditionnellement des ingénieurs responsables de la mise au point et de la maintenance de systèmes informatiques personnalisés. Elles étaient réticentes à remplacer ces systèmes par des technologies plus récentes, comme le cloud, surtout si cela impliquait de licencier du personnel.
Les temps changent
Toutefois, il apparaît de plus en plus clairement que le Japon doit se convertir à l’utilisation de solutions logicielles innovantes. Au niveau d’une entreprise, l’adoption de technologies cloud présente des avantages évidents : les entreprises n’ont plus besoin de développer des logiciels en interne. Il leur suffit de choisir parmi les meilleurs produits développés en externe pour devenir ainsi plus agiles et efficaces. Les entreprises peuvent également obtenir de meilleurs résultats avec moins de ressources et en consacrant moins de temps et d’argent au développement de logiciels en interne.
De meilleurs logiciels permettent également aux entreprises de mieux connaître leur activité. Utiliser efficacement un logiciel peut conférer à une entreprise un avantage par rapport à ses concurrentes et celles qui restent à la traîne peuvent avoir du mal à rattraper leur retard. Par exemple, le fabricant de cosmétiques Shiseido6 utilise un logiciel pour recueillir, suivre et examiner au quotidien les données relatives aux ventes, ce qui lui permet de mieux répartir les dépenses commerciales, de gérer plus efficacement sa chaîne d’approvisionnement et de mettre au point de nouveaux produits répondant aux besoins de ses clients.
Au niveau macroéconomique, le Japon souffre d’une sévère pénurie de main-d’oeuvre. A la fin 2019, le taux de chômage n’était que de 2,2%, au plus bas depuis 1992. Il y avait plus de trois emplois à pourvoir pour deux postulants. Même en 2020, lorsque l’économie mondiale est entrée en récession en raison des mesures prises pour freiner la propagation du coronavirus, les chefs d’entreprise sondés dans le cadre d’enquêtes de conjoncture faisaient encore état d’une pénurie de main-d’oeuvre.7 De nombreuses entreprises ont du mal à trouver les talents nécessaires pour se développer ou ne serait-ce que fonctionner. Les entreprises doivent revoir leur fonctionnement et sont en train de se tourner vers les logiciels pour trouver des solutions.
Figure 2 : Conditions d'emploi (tous secteurs confondus) – excédent ou pénurie de main-d'oeuvre (en points de pourcentage)
Source : https://www.boj.or.jp/en/statistics/tk/tankan03a.htm/
L’amélioration de la gouvernance d’entreprise a permis aux entreprises japonaises de comprendre les avantages d’une modification de leurs pratiques, y compris de l’adoption de nouvelles technologies pour accroître leur valeur. Aujourd’hui, le gouvernement reconnaît lui aussi que le Japon a besoin de changer. Dans son discours d’investiture, le Premier ministre Yoshihide Suga a évoqué « la nécessité d’une transformation numérique »8 et annoncé la création d’une agence du numérique chargée d’impulser ce changement. L’économiste Susumu Takahashi, vice-président du comité pour la réforme, a suggéré que le coup de fouet à l’innovation et à la productivité donné par une conversion rapide au numérique pourrait permettre de porter le taux de croissance économique potentielle du Japon de moins de 1% à au moins 2%.9 La conversion au numérique et l’augmentation de la productivité des entreprises sont désormais au coeur du programme de réformes structurelles du Premier ministre.
Le changement est une source d'opportunités
Les entreprises japonaises sont désormais les fers de lance du développement de nouveaux produits et services pour faire basculer le pays dans l’ère du numérique. Par exemple, la société de logiciels RH et de marketing médias Recruit est en train de mettre au point un progiciel permettant aux petites et moyennes entreprises de numériser leurs opérations. Air BusinessTools, sa suite de solutions SaaS d’aide à la gestion, va de l’aide aux paiements scripturaux à l’accueil en ligne en passant par la gestion des listes d’attente. L’idée est de permettre aux entreprises de consacrer moins de ressources aux tâches administratives et davantage à leurs opérations essentielles, afin d’améliorer leur productivité et leur rentabilité.
Mais il n’y a pas que les grandes entreprises qui cherchent à profiter de la nécessité pour le Japon d’engager une transformation numérique. La convergence de l’autonomisation technologique et de la nécessité sociale a favorisé la création d’une multitude de jeunes sociétés dynamiques dans le domaine des logiciels SaaS par des individus visionnaires qui ambitionnent de résoudre les problèmes auxquels le Japon est aujourd’hui confronté grâce aux logiciels. C’est notamment le cas de Freee (un éditeur de logiciel ERP cloud fondé en 2012 qui a fait son entrée en bourse en 2019), de Yappli (une société de développement « sans code » d’applications mobiles créée en 2013 et admise à la cote en 2020) et de SRE (une société spécialisée dans l’intelligence artificielle appliquée à l’immobilier créée en 2014 et introduite en bourse en 2020). De nombreuses entreprises de ce type ont déjà été récompensées par une croissance explosive et devraient poursuivre sur leur lancée pendant des années, voire des décennies.
Un nouveau soleil se lève
Le Japon a mis du temps à se convertir au numérique mais veut désormais rattraper son retard. Il dispose sans aucun doute des atouts pour y parvenir : une population instruite et une infrastructure numérique de grande qualité. Il peut s’inspirer d’autres économies et entreprises qui ont réussi à prendre le virage du numérique. Et il y a désormais une volonté politique et sociale qui permettra au Japon de leur emboîter le pas.
La conversion numérique peut contribuer à transformer le tissu économique du Japon pour le rendre meilleur, atténuer la pénurie de main-d’oeuvre, stimuler la productivité et la croissance économique et, enfin, améliorer la compétitivité et la rentabilité des entreprises.
Le pays commence à peine à prendre le virage du numérique. Au fil du temps, il y aura d’immenses opportunités pour les entreprises qui créent les conditions du changement. Cela créera inévitablement de nombreuses opportunités d’investissement à long terme. Comme toujours, nous chercherons à investir dans de belles entreprises innovantes qui feront partie des gagnantes à long terme à mesure que le pays continuera d’évoluer. C’est une époque palpitante pour tous ceux qui souhaitent investir au Japon.