L’allocation d’actifs stratégique (AAS), processus permettant
de définir une stratégie d’investissement à long terme bien
diversifiée, nécessite d’évaluer les rendements potentiels de
différents actifs financiers, ainsi que les risques auxquels ces
actifs et l’allocation définitive peuvent être exposés. Dans cet
article, nous présentons les hypothèses pour les marchés de
capitaux que nous utilisons comme prévisions centrales des
risques et des rendements dans le cadre des analyses AAS
menées pour les clients de Columbia Threadneedle.
Nous présentons nos hypothèses à moyen terme (cinq ans) et à long terme (10 ans
et plus) à compter du 31 décembre 2020. Elles ne sont pas les mêmes : bien qu’en
définitive, la performance soit dictée par les caractéristiques fondamentales des actifs,
notre processus tient compte du fait que l’offre et la demande peuvent engendrer des
écarts significatifs entre les valeurs de marché et ces fondamentaux sur le court terme.
Comme le dit cette citation souvent reprise de Benjamin Graham : « A court terme, le
marché est une machine à voter, mais à long terme c’est une machine à peser ».¹
Stratégie d’investissement en 2021
Une stratégie d’investissement se doit selon nous de tenir compte de ces marchés
sous-jacents, et ne doit pas être une allocation d’actifs fixe que l’investisseur rééquilibre
constamment. Aujourd’hui, par exemple, les rendements monétaires sont extrêmement
bas par rapport aux niveaux historiques. En outre, la prime inhérente aux prêts de longue
durée accordés à des gouvernements et des entreprises par rapport aux prêts de courte
durée n’est pas aussi élevée que d’ordinaire.
Les faibles taux du marché monétaire et de la « prime à terme », de même que nos
prévisions concernant la normalisation à venir de ces variables, ont des conséquences
nettes pour les portefeuilles. L’une d’entre elles est qu’il est devenu relativement plus
intéressant pour les investisseurs de s’exposer aux risques dans des classes d’actifs
autres que les obligations et, que, dans le secteur obligataire, il paraît judicieux, dans
l’immédiat, de détenir des instruments à duration plus courte, dans l’optique de renforcer
la duration à mesure que la prime à terme se normalisera. La mesure dans laquelle les
investisseurs peuvent – ou doivent – orienter leurs portefeuilles dans ces directions
dépend de leur situation personnelle : leur volonté ou leur capacité à diversifier leur
allocation dans le temps, les interactions actif/passif, etc. Les hypothèses présentées
dans cet article ne sont qu’une composante parmi d’autres dans le processus complexe
de définition d’une stratégie d’investissement.
Fonctionnement de nos prévisions de rendement
Le rendement d’un actif découle à la fois de ses revenus, d’une appréciation du
capital et de la variation de la valorisation de cet actif sur le marché. Bien que le
rendement total soit le plus important aux yeux des investisseurs, il est souvent
plus facile d’analyser puis d’anticiper les trois composantes séparément.
Les niveaux de croissance économique et les conditions financières influencent
fortement les composantes « revenus » et « appréciation » du rendement d’un
actif. Sur de courtes périodes, les conditions économiques à l’oeuvre et les
opportunités présentes sur le marché jouent un rôle clé dans la performance
des actifs individuels. Au fil du temps, en revanche, c’est la rémunération
perçue pour avoir encouru les risques applicables à l’ensemble du marché
(facteurs larges et persistants, comme l’exposition à la croissance économique
ou à l’inflation) qui devient le principal déterminant de la performance de la
classe d’actifs.
La dernière composante clé est la variation des valorisations. Celle-ci joue
un rôle significatif sur de courtes durées, après quoi les composantes plus
fondamentales prennent le pas sur de plus longues durées, comme indiqué à
la figure 1. Bien que les fluctuations des valorisations soient difficiles à prédire,
puisqu’elles dépendent en partie de la confiance du marché qui peut changer
sans prévenir, nous constatons que, sur des périodes de cinq ans, le niveau
actuel de sous-évaluation ou de surévaluation des actifs est important et doit
être pris en compte dans nos prévisions.
Pour résumer, nous articulons nos prévisions de rendement à cinq ans autour
de trois piliers : les revenus attendus (ou « carry »), la croissance escomptée
des revenus et la variation attendue de la valorisation de l’actif concerné.
Figure 1 : Les moteurs de performance ont une influence variable en fonction
du temps
Source : Columbia Threadneedle Investments, mars 2021. Si les fluctuations des valorisations dominent sur de
courtes durées, les moteurs économiques fondamentaux prennent le pas sur des horizons plus longs. Données
fournies à titre indicatif uniquement.
Pour prévoir les rendements à long terme, la troisième composante, à savoir
l’impact des fluctuations des valorisations, devient moins importante, de telle
sorte que notre attention se porte entièrement sur les revenus attendus et
l’appréciation du capital. En utilisant les mêmes quantités pour les prévisions
à cinq ans et à plus long terme, nous assurons la cohérence sur tous les
horizons temporels. Parallèlement, en connectant les prévisions par classes
d’actifs avec des facteurs de risque plus larges représentant les risques
applicables à l’ensemble du marché, nous assurons aussi la cohérence sur
l’ensemble des types d’actifs. Cette perspective multi-actifs est importante
dans le contexte de l’AAS, où la gestion des interactions entre les rendements
de différentes classes d’actifs joue un rôle crucial. Les primes inhérentes aux
facteurs de risque sont les suivantes :
- Prime à terme – La rémunération que les investisseurs exigent sur les prêts à long terme (par rapport aux prêts à court terme) pour avoir encouru le risque de hausse des taux d’intérêt.
- Prime d’inflation – Les investisseurs exigent un rendement supérieur sur les actifs dont la performance n’est pas protégée contre la hausse de l’inflation (par exemple les obligations nominales).
- Prime de risque de crédit – La rémunération que les investisseurs exigent pour prêter à des institutions non souveraines, en raison du risque de défaut.
- Prime de risque des actions – Les investisseurs détenant des actions, des actifs réels ou des matières premières peuvent connaître des difficultés si la future croissance économique est inférieure aux prévisions, et exigent donc une prime pour supporter ce risque.
- Prime de risque des marchés émergents – Les marchés et pays moins développés peuvent subir des dislocations et présenter un risque politique accru.
- Prime d’illiquidité – Les investisseurs exigent souvent une rémunération supplémentaire pour la détention d’actifs qui peuvent moins facilement être vendus, surtout lorsque les conditions sont tendues sur le marché.
Rendements monétaires et des emprunts d’Etat
Pour illustrer notre cadre, nous considérons les rendements monétaires et des
emprunts d’Etat aux Etats-Unis. Les rendements des bons du Trésor à court et
à long terme, bien que leur diminution n’ait pas été régulière, affichent une nette
tendance à la baisse depuis les années 1980. Toute prévision doit donc faire
un pari sur la question primordiale : dans quelle mesure les futurs niveaux ou
fluctuations des taux d’intérêt ressembleront-ils à ceux du passé ?
Les taux d’intérêt à court terme étaient proches de zéro à la fin 2020 et le
marché table sur une lente remontée seulement au cours des prochaines
années. Notre analyse va également dans ce sens. Les obligations à plus long
terme offrent habituellement des rendements supérieurs à ceux des obligations
à court terme ; il s’agit d’une « prime à terme » perçue par l’investisseur en
rémunération de son exposition aux risques d’inflation et de fluctuations des
taux d’intérêt sur la durée du prêt.
Toutefois, nous rejoignons les économistes de la Réserve fédérale américaine2
sur le fait que cette prime a fortement diminué et est même négative
actuellement. Nous pensons qu’elle retrouvera des niveaux plus élevés durant
nos horizons prévisionnels, mais que les rendements à court terme resteront
faibles pendant longtemps. La hausse des rendements sera probablement
lente et se limitera à 1,5% ou 2% sans renouer avec les niveaux observés par
le passé. Nous pensons également que les investisseurs seront rémunérés sur
de longues périodes, c’est-à-dire que la prime à terme deviendra positive, mais
tout en demeurant en deçà des niveaux historiques. La figure 2 récapitule les
prévisions que nous avons établies pour les rendements à cinq et à dix ans
aux Etats-Unis.
Figure 2: Prévisions de rendement aux Etats-Unis
Composante | Prévision à 5 ans | Prévision à 10 ans |
---|---|---|
a. Monétaire | 0,1% | 0,8% |
b. Bons du Trésor (échéance 7 ans) | 0,6% | 1,3% |
c. Prime à terme, (b-a) | 0,5% | 0,5% |
Source : Columbia Threadneedle Investments, prévisions de rendement annualisées (base arithmétique),
31 décembre 2020. Bons du Trésor représentés par l’indice ICE BofAML 5-10 Year US Treasury.
Rendements des actions
Les faibles rendements monétaires et des obligations a des répercussions.
Si, à court terme, le soutien apporté par de faibles taux d’intérêt peut accroître
les rendements relatifs des instruments plus risqués, la prime que ces
instruments doivent offrir aux investisseurs n’augmente pas continuellement.
Les rendements à plus long terme des actifs ont donc diminué en termes
absolus mais sont restés stables en termes relatifs.
Nous pouvons illustrer cette situation au moyen des actions américaines.
Nos modèles suggèrent que, sur les cinq prochaines années, la croissance
réelle des bénéfices des entreprises du S&P 500 atteindra 3,5% par an,
légèrement au-dessus de son niveau habituel. En tenant compte des prévisions
d’inflation et de revenus, nous obtenons pour les actions un rendement
excédentaire escompté supérieur de 7,1% à celui que nous prévoyons pour le
monétaire. Cette prévision de prime de risque dépasse largement la moyenne
historique à long terme – à plus long terme, nous anticipons une baisse des
revenus et de l’appréciation du capital alors que la faiblesse persistante des
rendements monétaires devrait compresser les rendements globaux des actifs,
de telle sorte que la prime de risque des actions américaines s’établira à 5,2%
sur une base arithmétique, ce qui correspond mieux aux niveaux historiques
(figure 3).
Figure 3: Rendements des actions américaines par rapport à ceux des liquidités
Composante | Prévision à 5 ans | Prévision à 10 ans |
---|---|---|
a. Rendement monétaire | 0,1% | 0,8% |
b. Rendement des actions américaines | 7,2% | 6,0% |
c. Prime de risque des actions américaines | 7,1% | 5,2% |
Source : Columbia Threadneedle Investments, prévisions de rendement annualisées (base arithmétique),
31 décembre 2020.
Application de nos hypothèses pour les marchés de capitaux dans la construction de l’AAS
La figure 4 montre comment nos rendements permettent de déterminer
l’allocation d’actifs pour l’investisseur institutionnel à long terme. Les objectifs
d’un établissement dont les investissements s’entendent typiquement sur le
long terme, comme une université ou un fonds de dotation caritatif, seraient
les suivants :
- Un objectif de dépense, par exemple 5% si la dotation doit être consacrée à des projets chaque année ;
- Une appréciation réelle du capital, suffisante pour préserver à vie le pouvoir d’achat du fonds de dotation.
Par exemple, si l’inflation est mesurée à l’aide des prix à la consommation,
le rendement cible pourrait être exprimé comme étant l’IPC +5% par an sur le
long terme.
Figure 4: Nos dernières hypothèses pour les marchés de capitaux
Classe d’actifs | Prévision à 5 ans (USD) | Prévision à long terme (USD) |
---|---|---|
Monétaire Etats-Unis | 0,1% | 0,8% |
Bons du Trésor américain | 0,6% | 1,3% |
Obligations d’Etat Monde | 0,1% | 2,1% |
TIPS américains | 1,7% | 2,3% |
Obligations d’entreprises Etats-Unis | 2,0% | 2,9% |
Obligations d’entreprises Monde | 1,6% | 3,0% |
Haut rendement américain | 4,7% | 4,1% |
Dette des pays émergents (USD) | 4,0% | 4,0% |
Actions de grande capitalisation Etats-Unis | 7,2% | 6,0% |
Actions de petite capitalisation Etats-Unis | 8,5% | 7,5% |
Actions Europe, Australasie, Extrême-Orient | 7,4% | 5,9% |
Actions du secteur des infrastructures Monde | 7,9% | 7,1% |
Actions émergentes | 9,2% | 8,8% |
Capital-investissement | 9,7% | 8,2% |
Immobilier Etats-Unis | 7,9% | 8,8% |
Rendement absolu | 2,1% | 2,8% |
Matières premières | 2,7% | 4,0% |
Source : Analyse Columbia Threadneedle Investments, mars 2021. Les indices de référence sont indiqués dans la
mention légale.
Pour définir une stratégie d’investissement permettant d’atteindre ces objectifs,
la priorité peut être donnée à l’objectif de revenu ou à l’objectif de rendement.
Traditionnellement, les établissements privilégient les actifs immobiliers
dégageant des revenus élevés, et l’appréciation réelle du capital sur le long
terme n’a alors qu’un rôle secondaire. Toutefois, depuis quelques dizaines
d’années, priorité est donnée au le rendement total,3 au moyen d’une ensemble
d’actifs plus diversifié. L’objectif de dépense ne correspond plus aux revenus
dégagés par les actifs.
Un horizon d’investissement à long terme présente des opportunités car il
confère à l’établissement concerné un avantage concurrentiel lui permettant
d’investir dans des classes d’actifs moins liquides. La taille peut également
procurer un avantage d’échelle pour accéder aux classes d’actifs alternatives.
Le capital-investissement, l’immobilier et les hedge funds sont donc inclus
dans l’univers d’investissement au côté des actifs plus traditionnels lors de la définition de l’AAS.
Figure 5: Fonds de dotation : allocation à haut niveau du capital
Source : Analyse Columbia Threadneedle Investments, mars 2021.
Après une optimisation à l’aide de nos hypothèses à long terme pour les
marchés de capitaux, notre portefeuille est dominé par les actions en raison du
niveau élevé du rendement exigé (figure 5). Les actions des marchés cotés et
non cotés représentent environ 60% de l’allocation du capital. Une allocation
obligataire, répartie entre obligations d’Etat et d’entreprises, ajoute du lest et
diversifie le portefeuille. Nous procédons ensuite à une deuxième optimisation
basée sur nos hypothèses pour les marchés de capitaux sur cinq ans, ce qui
définit les biais recommandés pour le portefeuille afin qu’il puisse exploiter au
mieux les opportunités actuellement présentes sur le marché. Il en découle
une réduction de l’exposition aux actifs censés enregistrer de mauvaises
performances dans un avenir proche, et une augmentation de celle aux actifs
censés produire de relativement bonnes performances, tout en maintenant une
cohérence avec le profil de risque global défini à la première étape.
Les biais résultant de nos hypothèses formulées fin 2020 sont représentés à
la figure 6. Bien que les Etats-Unis bénéficient toujours la plus forte allocation
dans le secteur des actions, leur pondération a été réduite de 2% en faveur
d’actions d’Europe, d’Australasie et d’Extrême-Orient (EAEO) en raison de
prévisions de rendement légèrement supérieures dans ces régions.
Figure 6: Biais résultant des conditions observées sur le marché fin 2020
Source : Analyse Columbia Threadneedle Investments, mars 2021. Les indices de référence sont indiqués dans la
mention légale.
Parmi les investissements obligataires, les principaux changements sont les
suivants :
- La duration globale est réduite en raison de l’actuel bas niveau des rendements et de l’impact escompté de leur hausse sur la performance des obligations nominales :
- En revanche, la duration des spreads de crédit est augmentée car nous sommes optimistes envers les rendements des obligations d’entreprises par rapport à ceux des obligations nominales.
De plus, en termes relatifs, nous préférons les obligations indexées sur l’inflation aux obligations nominales et les Etats-Unis au reste du monde, ce qui établit les allocations définitives indiquées à la figure 5.